30 juin 2010

Jacques Drouin au forum des images

Le 14 Avril dernier, Jacques Drouin présentait la technique de l'écran d'épingle au forum des images, lors d'un "atelier de maître" exceptionnel. La veille, il présentait ses films et ses influences dans une carte blanche. Lors de la démonstration, la salle était bondée. Il faut dire qu'il est rare de pouvoir approcher des écrans d'épingles en France, surtout en état de marche. On compte d'ailleurs sur les doigts de la main le nombre d'écrans existant à travers le monde. Jacques Drouin a hérité artistiquement de cette folle invention d’Alexeïeff-Parker et souhaite aujourd’hui transmettre ses connaissances à de jeunes réalisateurs d’animation désireux de reprendre cette technique. Deux écrans avaient été amené ce soir-là. Un petit de démonstration conservé par les Archives françaises du film et fabriqué avec des cure-dents noirs, et un autre beaucoup plus grand, le dernier écran d’épingles construit par Alexeïeff et Parker, conservé par l’association Cinédoc Paris Films Coop, dont c'était la première apparition publique depuis sa restauration.



Voir ces fameux écrans d'épingle "en vrai" avait quelque chose de magique car c'est une technique célèbre dont on nous parle souvent quand on fait de l'animation et qui montre à quel point les animateurs peuvent être des gens, disons-le, complètement fous. Inventer un système qui permet de recréer l'effet de la gravure et de pouvoir l'animer, tout ça avec des milliers d'épingles minuscules, c'était une aventure insensée. Alexandre Alexeïeff et Claire Parker ont ainsi créé une quinzaine d'écrans et de prototypes pour faire évoluer leur outils. Du tout premier sur lequel ils animèrent Une nuit sur le mont Chauve qui était fait d'une grille métallique et de parafine, ils cherchèrent à améliorer la fabrication en essayant plusieurs types d'épingles et en passant par des strates en vynil puis par des tubes disposés de différentes façons.

Jacques Droin a été amené a en restaurer trois pour l'éventuel ouverture d'un espace dédié à cette technique. Des extraits filmés de ce travail de rénovation nous ont été montré avant que Jacques Drouin nous explique les nombreuses facettes de ce procédé unique dans l'art de l'animation. Il est le seul à l'heure actuelle à savoir maîtriser les écrans et y a travaillé pendant 30 ans. Cet événement soulignait d'ailleurs en France la sortie du coffret DVD consacré à l'œuvre de ce réalisateur, regroupant ses court-métrages, films de commandes, films d'écoles et les documentaires dont il a fait l'objet.

Quelques chiffres. Le grand écran sur lequel Alexeïeff et Parker travaillaient comptaient environ 1 200 000 épingles. La plus belle pièce, l'instrument mythique sur lequelle Jacques Drouin a fait la plupart de ses films, se trouve à l'Office National de Film (Canada) et sert encore à la production. A l'heure actuelle, le meilleur moyen de pouvoir réellement réaliser des films avec cette technique consiste à monter un projet de co-production avec l'ONF.

La démonstration était bien organisée, nous avions un retour sur l'écran et le tout était filmé par l'équipe du forum des images (d'ailleurs la vidéo n'est pas en ligne mais ça ne saurait tarder). Jacques Drouin a commencé par dire que l'animation sur écran d'épingles appartenait à la même famille d'animation que le sable animé ou la peinture animée. Ce sont des techniques directes dans lesquelles on anime en continu en effaçant et recréant image par image le film. On est ainsi constamment en tournage et cela ne demande pas la même énergie que pour un travail d'animation sur papier. En véritable spécialiste, il avait amené ses outils et divers instrument lui permettant de travailler la surface des épingles. Ampoule électrique, objets texturés, formes gravées dans le linoléum, lettres d'imprimerie... Parfois il doit créer ses propres gabarits afin d'obtenir la forme désirée et ainsi simplifier un peu le travail. La technique s'approche alors du papier découpé, il faut faire bouger une forme fixe et non transformer le dessin.

















Presque tous les films que Jacques Drouin a fait ont un éclairage très précis à gauche afin d'obtenir une ombre portée bien précise. La vidéo d'Alexeïeff nous montrant le phénomène est assez éloquente.C'est la seule montrant l'écran d'épingle, resté très secret à l'époque. Même Orson Welles, qui avait commandé quelques images au duo afin d'introduire Le procès, n'a pas pu voir l'écran. Alexeïeff lui aurait alors dit que l'"on ne dérange pas les gens qui rêvent".

Le travail étant continu, les interruptions les midis et les nuits sont difficiles. L'angoisse est de perdre l'information au fur et à mesure de l'animation. Pour y remédier, Jacques Drouin prend des photos ou redessine ce qui se trouve sur l'écran d'épingle sur un cellulo, afin de retrouver ses repères à la même échelle. Tout est sur un seul niveau, personnages, décors et animations secondaires, il faut donc faire très attention à la position de chaque élément. Cette technique demande de la confiance ainsi qu'un certaine mémoire des gestes car il y a une part d'instinct dans la création de l'animation.

Jacques Drouin nous a enfin montré certains extraits de ses films pour nous parler concrètement de certains problèmes qu'il avait pu rencontre et les solutions qu'il avait pu trouver. Par exemple, dans Le paysagiste, il a tourné certain plans en marche arrière car il est plus facile de détruite un dessin que de le construire au fur et à mesure. Il tourne en 24 images/secondes et préfère faire pleins de petites modifications plutôt qu'une grande avec moins d'images. Il monte ses films au fur et à mesure et ajuste le story-board quand il le faut. Aujourd'hui il est possible d'avoir un retour direct sur ce que l'on est en train de faire, mais Jacques Drouin pense que la vidéo assistance nous rend trop prudent et peut faire perdre du temps. Pour L'heure des anges, il a inventé une application de la couleur et fait évolué sa technique à l'aide d'un dispositif compliqué. Il faut trouver des trucs, essayer de simplifier les choses et d'être ingénieux. De l'audace! Les collaborations permettent d'explorer de nouvelles choses. C'est avec sa participation à Jours d'hiver qu'il découvrir la lumière rase, qui lui permit de faire son dernier film Empreintes. Ce film, mon préféré, met en lumière le relief de l'écran et le détourne donc de son but initial. L'écran tourne, révèle ses secrets, est utilisé comme un bas-relief. C'est le film qui ressemble le plus à l'instrument lui-même et qui réinvente son utilisation.

Voir le film EMPREINTES

Après la séance, tous le monde s'est rapproché des écrans pour les voir de plus près. La tentation  de toucher la surface des épingles était grande, et cela ne rend pas grand chose en photo... Espérons qu'il y aura d'autres occasions d'approcher ces outils.



4 commentaires:

musecyan a dit…

Ca devait être super intéressant.
Drouin était venu à l'atelier AAA il y a une dizaine d'année pour faire un stage d'écran d'épingle pendant une semaine, mais je débutait juste l'animation j'ai laissé passer le coche..

musecyan a dit…

par contre c'est jacques drouin et non droin...

Florentine GRELIER a dit…

Ha mais oui, tu as raison! Rooooh! Merci, faute corrigée ^^

Mitra Basteth a dit…

Il a fait des tas de démonstration, expliquant différents aspects techniques de la réalisation et l'ajout de la couleur. Il s'était occupé aussi de la restauration d'un écran français. Il expliquait qu'il recherchait des successeurs pour transmettre son art. C'était une soirée très émouvante. Un être d'une gentillesse exquise. C'est souvent le cas, je trouve, dans le domaine de l'animation. Et je trouve très drôle de me retrouver sur l'un de ces clichés photographique. Merci !